Initiative inspirante
Publié le 26 septembre 2019

VoisinMalin : l’évaluation au service du projet !

VoisinMalin
Mots clés
ESS
impact
création de valeur
solidarité

VoisinMalin est une association présente dans les quartiers populaires de quinze villes de France et qui repère, salarie et forme des habitants « passeurs », les Voisins Malins. Elle a mis en place plusieurs démarches d’évaluation d’impact qui se sont avérées complémentaires et ont permis à la structure de démontrer son utilité à renforcer le lien social dans les quartiers populaires et à agir contre l’isolement social.

Un projet au cœur des quartiers populaires

VoisinMalin

L’association VoisinMalin a été créée en 2010 par Anne Charpy qui, se trouvant au cœur des quartiers populaires de Santiago du Chili, a pu observer des femmes accéder au micro-crédit pour s’acheter une machine à coudre et dont « le premier réflexe était de convaincre leur voisine de faire de même. » nous raconte-elle en ajoutant que « cette force de transmission par les acteurs eux-mêmes » a été une grande source d’inspiration.

De retour en France, elle s’installe en Essonne pour diriger des groupements d’intérêt public mais constate rapidement les limites de ces grands projets urbains dans les quartiers populaires. En effet, malgré l’argent public et la diversité d’acteurs autour de la table, ces projets n’arrivent pas à s’appuyer sur les habitants pourtant directement concernés par ces équipements ni à les impliquer. Cependant, elle constate qu’il existe dans ces quartiers de nombreuses personnes dynamiques qui ont envie de s’investir. Après les élections municipales de 2008 où la participation chute fortement dans ces quartiers (-de 50% de vote à Grigny), elle décide d’y « trouver les forces vives et de les accompagner pour qu’elles puissent s’entraîner, entraîner les autres et avoir une capacité de discuter avec les institutions ». C’est ainsi que VoisinMalin naît à Courcouronnes en Essonne.

Du porte-à-porte pour renforcer le lien social et la coopération

L’association propose des contrats de travail (CDI) d’une quinzaine d’heures par mois à des habitants très motivés, appelés les « Voisins Malins » qui sont formés et encadrés par un manager. Ces Voisins Malins réalisent des campagnes de porte-à-porte dans leur quartier, en partenariat avec les acteurs locaux intéressés et compétents, sur divers sujets de la vie quotidienne.

VoisinMalin

Ainsi, les Voisins Malins peuvent par exemple travailler avec les bailleurs sociaux sur les questions d’habitat (propreté, nuisibles, prévention des incendies, mais aussi sur l’appropriation de gros chantiers) ou avec les opérateurs d’eau pour viser à réduire les consommations des différents foyers. D’autres sujets aussi divers que la rénovation urbaine, la lutte contre la précarité énergétique, l’accès à l’emploi et la formation pour faire connaître les différents dispositifs, la prévention et l’accès aux soins etc. font partie des campagnes de l’association. L’objectif des missions de porte-à-porte est d’améliorer le quotidien des habitants, notamment les plus défavorisés qui sont souvent coupés des droits et des services auxquels ils peuvent prétendre, de leur redonner une place au sein de la société et de favoriser le lien social.

Aujourd’hui implantée dans une quinzaine de villes (Plusieurs villes en Essonne, Seine Saint Denis, Val d’Oise, Paris, Lille, Roubaix, Marseille, Villeurbanne dans le cadre de l’expérimentation Zéro chômeur…), l’association fonctionne sur un modèle économique innovant qui permet de garantir son indépendance et sa neutralité. Ainsi, 44% des revenus viennent des missions de porte-à-porte (bailleurs sociaux, opérateurs d’eau, pôle emploi…) ce qui permet d’asseoir un fort autofinancement, 22% de soutiens publics qui proviennent plutôt de l’État, des régions ou de l’agglomération et 34% de fonds privés comme des fondations.

Mesurer son impact : une manière de savoir où l’on va

Dès la création de VoisinMalin, Anne Charpy est consciente du caractère innovant et audacieux d’une action «  à la croisée entre les intérêts et les besoins de diverses institutions et ceux des habitants, et conjuguant dans le rôle du Voisin Malin l’engagement de l’habitant et celui du professionnel ». Elle cherche à mesurer l’impact de l’association car pour elle : « il est important d’être convaincue que l’on change quelque chose qui jusqu’à maintenant posait problème. »

Incubée à l’ESSEC et financée par l’État pour mesurer son impact, elle commence par tester la méthode SROI qui, si elle comporte des limites, a permis de qualifier l’impact de l’action sur les parties prenantes (Voisins Malins, habitants des quartiers et services utilisés comme les bureaux de poste etc.). « On a pu valider le fait que le management et son coût représentaient l’apport le plus important dans le projet et que l’impact le plus fort était dans un premier temps sur les Voisins Malins eux-mêmes » raconte Anne Charpy.

Fin 2013, l’association entre dans le réseau Ashoka et PM’UP ce qui lui permet de renforcer l’équipe et les soutiens extérieurs tout en préparant son changement d’échelle. Cette période est propice à la relance d’une mesure d’impact pour préciser l’ADN de l’association mais aussi pour « ajuster notre action et savoir ce qui est important pour le déploiement de l’association » précise la fondatrice pour qui il était important «  dès le début de mettre en place une démarche d’évaluation d’impact pour savoir où on allait, pour être crédible mais aussi pour mettre des mots sur ce que l’on apportait. »

A ce moment-là, plusieurs méthodes complémentaires se présentent et VoisinMalin se lance sur une triple évaluation. En premier lieu, l’association initie une autoévaluation interne centrée sur le travail des Voisins Malins dans les quartiers, accompagnée par Christelle Van Ham (Eexiste). Des indicateurs sont créés avec eux pour définir trois questions posées à chaque fin de chaque mission de porte-à-porte. Cela permet ainsi d’impliquer l’équipe et le conseil d’administration dans une réflexion sur leur impact, de constater ce qui fonctionne ou non mais aussi et surtout de motiver l’équipe.

A cette autoévaluation se greffent deux démarches externes mais concomitantes. Une évaluation randomisée réalisée par Vincent Pons, chercheur en économie à Harvard. Elle durera trois ans et présente de nombreuses contraintes mais permet de suivre une méthode scientifique carrée. Les résultats, en cours de publication, sont très positif et cela a permis à VoisinMalin de dégager des statistiques positives de leur impact telles que « deux fois plus de familles ont emmené leur enfant au spectacle à la médiathèque après le passage de VoisinMalin » mais aussi de voir que parfois, l’impact n’était pas forcément là où il l’attendait.

En même temps, Barbara Allen, une psycho-sociologue qui apprécie l’action de l’association, propose bénévolement son aide pour « comprendre ce que le projet apporte aux voisins malins et change dans leur vie et ce qui, dans les méthodes et la culture de l’association peut le rendre possible » révèle Anne Charpy qui continue : «  c’était aussi pour voir ce qu’il ne fallait absolument pas perdre lors du changement d’échelle ». Les résultats permettent par ailleurs de préciser les composantes fortes de la structure : un management à l’écoute, non descendant, basé sur le co-apprentissage et permettant une forte motivation pour les équipes ainsi que l’importance de faire partie d’une grande aventure collective.

VoisinMalin

Aujourd’hui, la volonté et l’ambition de VoisinMalin serait d’aller plus loin dans la démarche de mesure d’impact afin d’évaluer ce que construit l’association dans la durée de manière collective, sur les individus mais aussi à l’échelle du territoire en travaillant pourquoi pas sur l’indice de capacité relationnelle. Ce n’est cependant pas pour tout de suite, comme VoisinMalin se concentre actuellement sur la consolidation de ses fonctions supports (expertise, RH…) et la création de directions territoriales pour décentraliser la décision dans les territoires.

Ce que VoisinMalin tire de la mise en place de ces différentes démarches d’évaluation ? « Je pense que la première chose c’est un carburant pour motiver les équipes, le conseil d’administration, tous nos partenaires proches et toutes les personnes engagées dans l’aventure VoisinMalin, à commencer par les Voisins Malins eux même et leurs manageurs » affirme la fondatrice « ensuite ça permet de valider les ingrédients essentiels de notre action pour arriver à cet impact : que l’on doit par exemple garder une forte adaptation aux situations locales et aux territoires ».

La mesure d’impact comme vrai outil stratégique de pilotage engageant les parties prenantes sur un temps long est possible : c’est ce que nous démontre l’expérience réussie de VoisinMalin !

Crédit photos : © I.Mathie
Rédaction : Sophie Bordères

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